La Ville en Commun
5 min readNov 13, 2020

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Une gouvernance pour Grand-Paris / Ile-de-France / Pierre Narring

Assurer la gouvernance de la métropole capitale selon des principes de justice sociale, d’équilibre écologique et d’efficacité économique nécessite une organisation institutionnelle profondément renouvelée. Certes, la dynamique des appels à idées du type « réinventer », l’impact attendu de certains projets d’aménagement, la perspective d’un grand métro contribuent à la structuration métropolitaine. Pour autant, on ne peut raisonnablement se contenter de cela pour « faire métropole »… sous prétexte que toutes les réformes institutionelles envisagées ou engagées depuis plus de dix ans ne débouchent pas. Pour sa cohésion, son attractivité, son devenir durable et désirable, la métropole a besoin d’une gouvernance dynamique, démocratique, apte à gérer la complexité. Cette nécessité apparaît encore plus forte depuis que la crise du Covid a mis en exergue la fragilité de notre monde, la multiplicité des incertitudes à affronter, l’ampleur des transitions à gérer. En dépit des aléas du calendrier politique des prochains mois, n’y a-t-il pas, dans ces temps troublés que nous traversons, une opportunité à saisir pour opérer une avancée déterminante ?

Faisons simple ! En partant de la perception que peut avoir l’habitant ou l’acteur local, trois niveaux principaux peuvent être appréhendés :

- la communauté de proximité qui correspond aux communes, arrondissements, quartiers,

- la communauté de bassin de vie qui renvoie à l’échelle des intercommunalités (y compris des « territoires » de la petite couronne),

- la communauté de destin que constitue la « métropole », un ensemble plus difficile à cerner.

La gouvernance de proximité est à préserver car il s’agit de qualité de vie quotidienne, de lieu d’écoute et de médiation, premier pilier de la vie démocratique assuré par le maire, les conseils municipaux, les conseils de quartiers et autres dispositifs de participation citoyenne…

La gouvernance de bassin de vie est à renforcer résolument pour assurer un cadre cohérent (habitat, emploi et vie économique, agencement des équipements et des grandes fonctions urbaines). Elle reste, particulièrement en Ile-de-France, à construire dans de nombreux cas où les regroupements intercommunaux possèdent encore peu de consistance, une identité insuffisamment affirmée, un trop faible niveau d’intégration. Parmi les moyens pour avancer figurent en premier lieu l’établissement d’un projet de territoire (vision prospective, ambition stratégique et trajectoire intégrant toutes les transitions) et l’élection des conseils communautaires au suffrage universel.

La gouvernance de niveau métropolitain est quant à elle à structurer complètement, en faisant le choix d’un « périmètre principal », même s’il existe plusieurs échelles pertinentes selon les sujets. Ce ne peut être la petite couronne qui, excluant les villes nouvelles, les zones logistiques et aéroporturaires, des pôles comme Paris-Saclay…, ne correspond à aucune logique économique ni urbaine ; ladite « métropole du Grand-Paris » créée sur cette base n’a de fait pas trouvé sa place ni démontré son utilité, ce qui devrait conduire à sa suppression. Se focaliser sur l’unité urbaine (partie agglomérée autour de Paris) pourrait présenter un certain intérêt du point de vue du tissu urbain, mais ce serait ignorer les échanges intenses entre elle et le reste de l’Ile-de-France (voire même des territoires situés au-delà de ses limites), en termes de bassin d’emplois, de déplacements, de flux économiques, énergétiques, alimentaires… Aujourd’hui, les enjeux de transition écologique, de maîtrise des risques, de renforcement de la résilience territoriale incitent encore davantage à penser le développement durable, la cohésion sociale et l’attractivité territoriale à une large échelle.

C’est pourquoi le choix du niveau régional, qui permet aussi de s’adosser à un périmètre administratif existant, apparaît comme un bon compromis, sous réserve d’adopter un dispositif novateur spécifique aux enjeux de la métropole capitale ; celui-ci devrait notamment comporter :

- un « sénat des bassins de vie » réunissant les présidents d’intercommunalité, doté d’un pouvoir d’initiative, d’avis, de délibération, et articulant son rôle avec celui d’une assemblée régionale-métropolitaine élue au suffrage direct et celui d’une instance émanant de la société civile,

- un mode de fonctionnement novateur permettant de traiter efficacement soit des questions concernant l’ensemble de la région-métropole, soit de questions concernant seulement certains territoires (unité urbaine de Paris, territoires périurbains, y compris contigus à l’Ile-de-France, tel ou tel « faisceau » selon le concept utilisé dans un ancien schéma régional…),

- un outil stratégique unifié, sous forme d’un schéma régional et métropolitain intégrateur, avec lequel les PLUi, PLHi et politiques économiques territoriales devraient être compatibles,

- et surtout un système fiscal et financier permettant d’assurer équité et solidarité au sein de la métropole.

Le devenir des départements est une question sensible. A terme, dans une préoccupation d’efficience globale, on peut s’interroger sur leur rôle et même sur leur maintien, particulièrement en tant qu’entités politiques, en Ile-de-France comme ailleurs. Mais ils sont pour le moment présents dans le paysage, leurs moyens techniques et financiers sont puissants, leurs dirigeants ont une forte capacité d’influence y compris sur les évolutions institutionnelles qui ne seront pas actées sans une certaine adhésion des parties prenantes.

Un regard plus fin s’impose sur les compétences en jeu. L’idée a été déjà émise que la construction et la gestion des collèges pourraient être regroupées avec celles des lycées ; les infrastructures routières pourraient également relever du niveau régional. Divers champs d’intervention comme la culture, l’environnement, l’aménagement et l’ingénierie constituent des soutiens aux communes et intercommunalités ou bien des domaines qui ont besoin d’une échelle d’action plus large que les territoires des intercommunalités. Ces dernières, lorsqu’elles seront venues à maturité, pourraient les gérer ensemble selon des partenariats territoriaux adéquats. Il reste la question majeure du « bloc social ». Sous réserve d’une réflexion approfondie, ne pourrait-on pas envisager à l’avenir de concilier pilotage stratégique équitable et proximité des publics concernées en mobilisant un couple région-métropole / territoires intercommunaux ? Mais une telle évolution n’est pas d’actualité.

La réforme institutionnelle de la région capitale ne peut se faire que par étapes successives. Tant pour sortir du blocage actuel que pour donner un temps d’adaptation aux institutions et à ceux qui les pratiquent. Il importe aujourd’hui d’engager la mise en place d’une gouvernance métropolitaine innovante avec des mécanismes de solidarité et permettant une affirmation progressive des bassins de vie (soutenue tant par la région-métropole que par les départements) : une réforme politiquement réaliste, qui ouvrira la possibilité d’évolutions ultérieures vers un schéma institutionnel parachevé.

Pierre Narring, 13 novembre 2020

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